À la découverte des cultures en mélanges variétaux avec les trieurs de semences

Récit

À la découverte des cultures en mélanges variétaux avec les trieurs de semences

Journée découverte des professionnels de la semence indépendante

À la ferme de Bonnière, à Châtillon-Coligny dans le Loiret, Gilles Van Kempen accueillait, le 20 septembre 2018, des chercheurs de l'INRA et les journalistes de la presse agricole nationale, à l'occasion d'un chantier de tri-préparation de semences de ferme, réalisé par l'entreprise Eptasem. Organisée par le Staff, le syndicat des trieurs à façon de France, la journée de découverte professionnelle avait pour thème, cette année, la culture en mélanges variétaux.

 

En situation réelle de travail avec Emmanuel Péchot d'Eptasem

En conditions réelles de chantier, Emmanuel Péchot, dirigeant d'Eptasem, se devait de préparer les 10 tonnes de grains récoltés cet été par Gilles van Kempen, qui doit semer ses blés d'hiver en novembre. Le trieur indépendant utilise une station de tri mobile affichant un débit de chantier comparable à celui des stations fixes de tri industriel. Elle est équipée d'un système d'injection directe des produits de traitement, ce qui permet de limiter les contacts avec les produits, de garantir un respect scrupuleux des dosages et d'assurer la sécurité des opérateurs comme des clients. « D'habitude, il nous aurait fallu à peine deux heures pour effectuer ce chantier », explique le professionnel. Là, la matinée entière aura été nécessaire tant les conversations entre les participants auront été riches...

 

Emmanuel Péchot

 

L'expérience de Gilles van Kempen, l'agriculteur

Gilles van Kempen décrit et explique l'intérêt de la pratique. « Un agriculteur doit répartir les risques agroclimatiques pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Précédemment, nous cultivions en “pur” plusieurs variétés dans des champs différents. Depuis huit ans, je pratique la culture en mélanges variétaux et je sème le même mélange de semences sur tous mes champs de blé », indique-t-il en montrant la benne attelée à son tracteur, d'où les grains glissent dans la trémie de la station de tri-préparation d'Eptasem. « J'ai composé mon mélange de base à partir de huit variétés de semences certifiées que j'ai choisies en concertation avec ma coopérative, en fonction des caractéristiques agronomiques (rendement, précocité), de leurs valeurs techniques (taux de protéine, force boulangère et temps de chute d'Hagberg) et aussi de leurs aptitudes à résister aux maladies et aux intempéries (sécheresse et précipitations). J'ai aussi ajouté des blés barbus pour protéger les récoltes des sangliers qui les détestent », détaille Gilles van Kempen. « Chaque année, je peux introduire des nouvelles variétés dans mon mélange de semence pour faire évoluer les caractéristiques de ma récolte. Je fais ces adaptations en accord avec les spécialistes de ma coopérative qui commercialisent ma récolte. Ils m'indiquent les orientations qu'ils souhaitent en fonction de la demande de leurs clients et des attentes du marché. Nous travaillons en bonne entente. Je pense que la CA PRO GA apprécie la qualité de ma production », développe Gilles van Kempen. Après huit ans, Gilles van Kempen tire un bilan très positif de son changement de pratique. « La culture en mélange est particulièrement bien adaptée à mes terres limono-argileuses, très séchantes, dont le potentiel est limité (6 t/ha). La production est plus régulière, je gère mieux les attaques de maladies », indique-t-il. Les rendements sont-ils meilleurs ? Le sujet est délicat et Gilles van Kempen reste prudent. « Je dirais oui, mais je suis aussi passé à l'agriculture de conservation pour favoriser le fonctionnement biologique des sols, alors qu'est-ce qui est imputable à la culture en mélange ou à ma nouvelle manière de travailler les sols ? , je ne saurais dire. Je peux affirmer que j'ai réduit de 50 % l'utilisation des produits de traitement, ce qui réduit significativement les coûts de production. » Gilles van Kempen tire d'autres bénéfices de la pratique. « En utilisant un seul mélange de semence, j'ai moins de réglage de semoir et la surveillance sanitaire des cultures est facilitée. Comme les maladies se propagent moins rapidement dans un champ en mélange variétal, j'ai plus de temps pour intervenir, ce qui me permet d'appliquer les traitements quand les conditions météorologiques (vent et humidité notamment) sont favorables. Mes interventions sont plus efficaces, je limite ainsi les volumes et les passages. »

 

Gilles van Kempen

 

Le point de vue des professionnels de la semence indépendante

Sylvain Ducroquet, président du Staff, a rapidement rappelé les principes ancestraux de la préparation des semences. « Nous trions les grains pour éliminer les grains cassés, les petits grains et aussi les impuretés. Le tri permet d'atteindre un taux de germination supérieur à 95 %. Le but est de permettre à l'agriculteur de semer à la bonne dose. En semant des graines triées, il n'a pas besoin de surdoser son semis pour compenser les aléas de germination, ce qui peut engendrer des densités trop fortes et ainsi les rendre plus vulnérables aux agents pathogènes, fongiques notamment. Les trieurs-préparateurs indépendants ont la possibilité d'adapter les traitements de protection des semences à chaque situation locale. Ces traitements différenciés et sur mesure contribuent à réduire substantiellement les quantités de produits employés, comparativement aux semences industrielles qui sont traitées de manière systématique pour répondre à toutes les menaces rencontrées à l'échelle, beaucoup plus vaste, d'une région. » Les trieurs de semences indépendantes observent le développement de la pratique de la culture en mélanges variétaux. « Elle est historique mais est restée longtemps marginale. Selon notre enquête professionnelle, elle concernait en 2017 déjà près de 20 % de nos chantiers de préparation de semences de ferme. Elle est plus répandue dans l'ouest de la France, notamment chez les éleveurs mais surtout en polyculture-élevage. Nous observons aujourd'hui son développement en grandes cultures », observe le président du Staff.

 

Sylvain Ducroquet, professionnel de la semence de ferme
détaille le fonctionnement du trieur aux chercheurs

 

Les enseignements du programme de recherche Wheatamix

Jérôme Enjalbert, Ema Forst et Arnaud Gauffreteau, les chercheurs de l'INRA, sont venus découvrir les techniques de la semence de ferme. Ils ont profité de l'occasion pour partager avec les professionnels de l'agriculture les enseignements du programme de recherche Wheatamix. Mené entre 2014 et 2018 et financé par l'ANR (Agence Nationale de la Recherche), ce programme a réuni des équipes pluridisciplinaires, agronomes, écologues et généticiens notamment. « Nous avons mené plusieurs essais dans des stations de recherche sur des placettes de quelques mètres carrés, d'autres en pleins champs chez une trentaine d'agriculteurs de la région Centre-Val-de-Loire, notamment », détaille Jérôme Enjalbert, chercheur INRA, responsable de l'équipe DEAP, dans le laboratoire Génétique Quantitative et Évolution à Gif-sur-Yvette (91). Les essais en station expérimentale ont permis de confirmer l'intérêt des associations végétales. « L'activité microbiologique des sols est impactée positivement. Les différences morphologiques et physiologiques entre variétés sont autant d’obstacles au développement et à la propagations des maladies », indique Arnaud Gauffreteau, ingénieur de recherche INRA dans l'unité d'Agronomie de Grignon (78). Nous le savions déjà par l'étude de la littérature scientifique mais nous avons pu recueillir des données pour approfondir les connaissances des mécanismes biologiques et explorer des voies de recherche nouvelles. « Différents mécanismes chez les plantes influencent leur aptitudes à interagir positivement et exprimer des synergies comme cela a été décrit pour le contrôle des maladies. La sélection variétale actuelle, basée sur la culture en pur pourrait avoir appauvri le patrimoine génétique du blé, et il conviendrait de développer des sélections spécifiques pour regagner une diversité génétique perdue dans les lignées élites actuelles «, indique Jérôme Enjalbert. « Alors que les agronomes et les praticiens avaient tendance à restreindre la composition des mélanges à des variétés de même hauteur et de même précocité, nos observations montrent qu'il peut y avoir intérêt à associer des variétés de blé plus contrastées, dans une certaine mesure », complète Jérôme Enjalbert. « Les possibilités d'association semblent plus vastes que ce qui était admis jusqu'à maintenant », poursuit-il. « Nous ne sommes qu'au début de la route », insiste le chercheur. Les essais aux champs, menés en collaboration avec cinq chambres d'agriculture, (Eure, Indre, Loiret, Loir-et-Cher, Seine-et-Marne) et la FDGEDA du Cher, ont mis en évidence que sept fois sur dix, les cultures en mélange produisaient plus que la moyenne des variétés cultivées en pur. Les gains moyens sont de l'ordre de 2 % mais peuvent être plus importants les années à forte pression de maladie (près de 5 % en 2016). Ce n'est toutefois pas l'objectif premier recherché par les agriculteurs. Comme Gilles van Kempen, ceux-ci recherchent en premier lieu à sécuriser leur rendement face aux pression maladies et aux variations climatiques interannuelles et simplifier la gestion des variétés à l'échelle de l'exploitation. Emma Forst, post-doctorante dans l'équipe de Jérôme Enjalbert, précise toutefois que l'on connaît encore peu de choses sur la bonne composition des mélanges, notamment pour l'agriculture biologique (AB) alors qu'ils pourraient permettre de mieux concurrencer les adventices ou d'améliorer l'utilisation de l'azote. « Ils ne sont pas tous adaptés aux mêmes situations et les mélanges représentent un levier pour adapter le choix des variétés à assembler en adéquation avec le contexte de production et les besoins des agriculteurs. Jusqu'à maintenant, il y a très peu de travaux de recherche appliquée pour l'optimisation des mélanges. C'est une voie de recherche très intéressante », estime la jeune chercheuse Pour favoriser les complémentarités entre variétés et identifier, « les erreurs à éviter », les chercheurs et les professionnels de l'agriculture ont besoin d'élargir leur champ d'investigation, en travaillant notamment de manière participative. Nous avons travaillé sur la co-conception de mélanges pour l'agriculture biologique en partenariat avec le GAB (Groupement des Agriculteurs Biologiques) d'Ile-de-France dans le cadre d'un projet PICRI (Partenariat Institutions – Citoyens pour la Recherche et pour l’Innovation) et ce travail se poursuit maintenant avec le projet CASABIO qui associe l'ITAB (Institut Technique de l'Agriculture Biologique). Une des difficultés des chercheurs pour appréhender les mélanges est l’extrême multitude des combinaisons de variétés possible. Il existe plus de possibilité de mélanges variétaux que d'étoile dans notre galaxie. Il convient de développer d'autres approches pour analyser ces objets d'études complexe.

 

Jérôme Enjalbert (chemise rouge), Arnaud Gauffreteau (chemise bleue)
à l'écoute des praticiens

 

Une initiative de recherche partagée en cours

Les professionnels de la semence indépendante du Staff regrettent également ce défaut de connaissances générales sur les bonnes pratiques de la culture en mélange de variétés. « Nous manquons d'informations pour répondre à nos clients », reconnaît Sylvain Ducroquet. « C'est pourquoi nous avons décidé de développer une application Web pour participer au développement de la connaissance sur le sujet. Ainsi, depuis septembre, les trieurs membres du Staff sont invités à qualifier, avec leurs clients agriculteurs, les chantiers de semences en mélange. Nous recueillons un minimum d'informations essentielles : le nombre de variétés, leurs nom set l'objectif principal attendu par les agriculteurs praticiens. Le Staff joue la carte de la transparence et les premières remontées d'informations des chantiers 2018 sont déjà disponibles en ligne sur le site du Staff : http://trieur-semences.fr. Les analyses sont actualisées en permanence à mesure que la base de données s'enrichit. Le premier enseignement concerne le rythme soutenu du développement de la pratique puisque 15 % des agriculteurs déclarent pratiquer la culture en mélange pour la première fois cette année. Les informations recueillies révèlent que l'objectif principal des agriculteurs est la sécurisation de la production (46 %), vient ensuite la réduction des coûts d'intrants (23%), la simplification du travail (16 %), la curiosité (6%) et la lutte contre les adventices (5%), la valorisation des terres à faibles potentiel (2%). L'augmentation du rendement arrive en dernière place (1%). « Attention, prévient Sylvain Ducroquet, ces résultats ne sont pour le moment que provisoires. Tous les trieurs n'ont pas encore renseignés leurs chantiers. ». La base de données du Staff devrait constituer la principale source de données sur la culture en mélange jamais rassemblées en France, voire en Europe.

Une initiative de recherche partagée en cours

Pour en savoir plus

Contacts Staff : Sylvain Ducroquet sylvain.ducroquet@orange.fr 06 77 79 22 37

Contact scientifique : Jérôme Enjalbert (INRA)

Contact presse : François Delaunay agence DFI-presse : f.delaunay@dfi-presse.fr 06 24 98 69 68

Développement / application : Franck Bourgouin frckb.net

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